The Rainbow Children est le vingt-huitième album de Prince. Il est tout d’abord paru sous la forme d’un fichier unique au format mp3 à 128 kbps sur le NPG Music Club, avant d’être édité en CD et distribué par NPG Records en partenariat avec Redline Entertainment (une entreprise basée à Minneapolis), le 20 novembre 2001.
Il s’agit du premier album édité sous le nom de « Prince » après la fin du conflit avec Warner.
Genèse
En ce début des années 2000, après plusieurs années de lutte contre la Warner, et une carrière qui est restée en demi-teinte sur le plan commercial, Prince souhaite revenir à son niveau d’excellence et d’inventivité des années 1980.
En mai 2000, il récupère l’usage légal du nom de « Prince » qui était jusqu’alors un produit détenu par Warner dans le cadre du contrat signé en 1992. Pour célébrer cette indépendance retrouvée, il lui fallait revenir de manière brillante et honorer ce nom illustre. Dans un premier temps il réalise un projet individuel, l’album High, dont le son électronique et les arrangements squelettiques rappellent ses plus grands tubes des années 1980, notamment Kiss ou When Doves Cry.
Cependant à la même époque, le business de la musique est en pleine mutation. Les maisons de disques et les radios ne s’intéressent plus aux musiciens, et on trouve à la place des produits pré-fabriqués, des groupes « kleenex » qui sortent un tube et sont vite oubliés. Des groupes sont créés de toute pièce sur un plan marketing bien précis (exemple : les Spice Girls), et le plus souvent on a droit à un duo constitué d’une fille un peu sexy et d’un rappeur ou DJ pour un tube dance. Prince, qui fut un précurseur de la musique faite par un « self made man » (producteur, compositeur, auteur, interprète, musicien…) et ayant concouru à développer le « home studio » (Paisley Park), se fait dépasser par ce qu’il a lui-même conduit à développer. Ainsi, des petits nouveaux avec un home studio dans le coin d’une pièce arrivent à sortir des tubes en pagaille, aidés par l’avènement du R&B moderne et du hip-hop, basés sur des rythmes simples et des moyens minimaux.
Alors que Prince ne sait pas réellement quelle voie prendre pour prolonger sa carrière, un changement notable intervient durant l’été 2000 avec le recrutement permanent de John Blackwell à la batterie. Remarqué par Prince lors d’un concert de Patti LaBelle à Minneapolis, John Blackwell devient l’élément central de la nouvelle mouture des New Power Generation. Autre musicien essentiel, le saxophoniste et flutiste Najee, est embauché à temps plein en septembre 2000. Bénéficiant déjà d’une carrière conséquente, Najee apporte un nouveau niveau d’excellence, et permet l’ouverture à un « smooth jazz » qui du coup ne correspond pas vraiment au son électro de l’album High. Prince décidera alors de délaisser l’album High au profit d’un album au son plus « live », et d’inspiration plus ambitieuse.
Ainsi, à l’automne 2000, Prince choisit de prendre un virage à 180° en se positionnant comme « old school », puis en cherchant à défendre « la vraie musique jouée par de vrais musiciens ». Il tente ainsi de reprendre à sa manière l’héritage du funk, de la soul et du véritable R&B. Sans sonner passéiste, il va reprendre le flambeau là où d’autres l’avaient laissé dans les années 1970.
Ce choix a pour conséquence de devoir se limiter à un public ambitieux, composé de connaisseurs et de mélomanes, pour ainsi lui permettre de retrouver son aura d’antan. La qualité de la musique enregistrée à l’automne 2000 et qui produira la matière pour l’album The Rainbow Children, encourage Prince dans cette voie. En novembre 2000, il embarque avec son nouveau groupe dans une tournée américaine intitulée « Hit & Run Tour 2000 » dont le but est de rejouer live les hits de ses années Warner, de manière à appuyer le retour au nom de Prince. Le groupe contient donc John Blackwell, Najee, mais aussi Rhonda Smith, Morris Hayes et Kip Blackshire. Lors du premier concert, le titre le plus récent qui fut joué était… Cream de 1991 ! Bien que tenue avec des moyens minimalistes et dans de petites salles, la tournée a été un grand succès et a démontré que le public était attentif à ce son vintage.
Pour autant, Prince ne délaisse pas l’innovation et ouvre en février 2001 le NPG Music Club pour rassembler ses fans les plus fidèles, prêts à investir $100 dans un abonnement annuel pour de la nouvelle musique. Durant les six premiers mois, ce site permettra d’écouler le contenu des projets High et Peace, et de préparer le terrain à la sortie de The Rainbow Children. L’album est présenté en avant première lors de la Celebration, un événement organisé à Paisley Park en juin 2001. Il sera livré par téléchargement aux membres du Club dans l’édition du mois d’octobre, avant d’être disponible en magasins fin novembre.
Enregistrement
Les sessions pour The Rainbow Children ont eu lieu essentiellement à l’automne 2000, et se sont poursuivies jusqu’en février 2001 lorsque les NPG Hornz sont venus ajouter leur contribution sur cinq titres.
En avril 2001, le titre The Work, Part 1 fut diffusé sur Napster et via le NPG Music Club en avant-première. L’album est quasi intégralement une réalisation de Prince, ce qui est assez étonnant compte tenu de la teneur de la musique. Si les solos de guitare ne laissent aucun doute, les autres parties instrumentales pourraient comporter des participations non créditées de membres de son groupe. Les seules participations externes affichées sont celles de John Blackwell qui tient la batterie sur presque tous les titres, Larry Graham qui tient la basse sur deux titres (The Work Part 1, et Last December), et les NPG Hornz. On y entend aussi les voix de Milenia (un groupe vocal constitué de 4 filles), de Kip Blackshire, de Mr Hayes et de l’ingénieur du son Femi Jiya.
Éditions
L’album est d’abord paru le 15 octobre 2001 sous la forme d’un fichier mp3 à 128 kbps, et proposant l’album d’un seul tenant (sans pistes séparées). Il est ensuite paru en CD, en cassette, et en double album vinyle. La production en vinyle a été limitée à 1 500 exemplaires, ce qui a fait de ce disque un collector très recherché, avec des prix de revente de plusieurs centaines d’euros, jusqu’à l’apparition de la réédition en 2020.
Contenu :
- Rainbow Children (10:04)
- Muse 2 The Pharaoh (4:21)
- Digital Garden (4:07)
- The Work Pt. 1 (4:28)
- Everywhere (2:55)
- The Sensual Everafter (2:58)
- Mellow (4:24)
- 1+1+1 Is 3 (5:17)
- Deconstruction (2:00)
- Wedding Feast (0:54)
- She Loves Me 4 Me (2:50)
- Family Name (8:17)
- The Everlasting Now (8:18)
- Last December (7:58)
- Last December – reprise (0:38) (non créditée)

En mai 2020, l’album est réédité en CD et en vinyle dans le cadre du contrat de 2018 avec Sony Music. L’édition vinyle est proposée sous la forme de disques transparents, et livrée avec une feutrine aux motifs psychédéliques. L’expérience d’écoute consiste donc à poser le disque sur la feutrine et le regarder tourner.
Singles
L’album n’a pour ainsi dire pas produit de single commercial. Le premier extrait, The Work Part 1, fut proposé dès avril 2001 en partage gratuit sur Napster, ce qui avait fait parler à l’époque car ce service était l’un des premiers où le piratage de morceaux était le plus développé.

Ce titre est également paru en CD single, distribué uniquement via le NPG Music Club. Il n’a donc eu qu’une diffusion très limité, et est devenu un collector. Il contient également le titre U Make My Sun Shine, issu des sessions de l’album High.
Toutes les autres éditions physiques furent des CD promotionnels. On trouve un pressage américain appelé « jazz sampler » et contenant quatre titres : She Loves Me 4 Me, The Sensual Everafter, Rainbow Children et Digital Garden.
Le titre She Loves Me 4 Me fut également édité en CD promotionnel à part entière, en deux pressages : américain et français.
Enfin, le titre Last December fit l’objet d’un pressage en CD single promotionnel au Japon, en reprenant le visuel de la pochette de l’album.

Analyse
The Rainbow Children possède un nombre incroyable de caractéristiques originales qui font de cet album un cas à part dans la discographie de Prince. C’est un album-concept thématique, qui est envisagé comme une pièce musicale à écouter en continu. Les titres s’enchaînent les uns aux autres à l’instar de l’album Lovesexy, auquel The Rainbow Children fut souvent comparé. Pour autant il ne sombre pas dans le côté facile des comédies musicales.
L’album raconte une histoire qui est celle des Rainbow Children, un peuple qui possède « la juste compréhension de Dieu et de ses lois », et de leur roi appelé The Wise One (le sage). L’histoire est aussi présentée par un narrateur dont on retrouve la voix grave et légèrement ralentie tout au long du disque. Un peu déconcertante au début, cette voix se fond dans la musique après quelques écoutes.
L’histoire racontée dans l’album est détaillée titre par titre dans un article spécifique de ce site. Elle comprend de nombreuses références à la religion et à l’univers des Témoins de Jéhovah, que Prince avait récemment rejoint sous l’influence de Larry Graham. L’une des phrases les plus évidentes qui l’atteste est celle trouvée dans le morceau The Work, part 1 : « de porte en porte, ils partirent à la recherche de ceux volontaires pour accomplir les travaux », ce qui rappelle le fait que les Témoins de Jehovah viennent régulièrement faire du prosélytisme en porte à porte. Prince lui-même avait été aperçu dans les environs de Minneapolis, frappant au hasard à la porte de certains habitants !
Sur le plan musical, Prince a créé un univers totalement original pour ce disque. La musique est très recherchée et ne comporte aucune tentative de récupération des auditeurs de radios commerciales. On sent que l’album a été créé en totale liberté, sans chercher à être calibré pour tel ou tel public, ou telle ou telle radio.
L’autre analogie avec Lovesexy concerne les arrangements musicaux. The Rainbow Children propose une musique inspirée, omniprésente, et riche, sans jamais être surchargée. Plusieurs passages instrumentaux traversent l’album, avec une guitare à la Santana, très mise en avant. L’évolution des arrangements au cours de l’écoute surprend de nombreuses fois. Le son fait très live, et la technique informatique est utilisée juste ce qu’il faut, en se mêlant directement à l’instrumentation réelle sans surenchérir gratuitement. Les solos de guitare ou de basse sont multiples, tout comme les sons de claviers électroniques. Alors que nous étions habitués à des réalisations plutôt spartiates, on est surpris de trouver une telle richesse dans les idées et les arrangements. L’album a une maturité et une évidence telles qu’on se demande comment Prince a pu faire pour en arriver là. Après tout, cette inspiration et cette implication dans la musique procurent le même sentiment que l’on éprouvait en découvrant les albums des années 80. Nous sommes donc bien en présence du grand retour de Prince, à son plus haut niveau.
Les 30 premières minutes du disque sont tout à fait remarquables et d’un genre inédit chez Prince, passant d’un rythme jazzy électrifié à une guitare soul finement funky, ou un gospel de comédie musicale. C’est le premier disque de Prince qui sonne aussi vintage 70’s : piano électrique, guitare wha-wha, batterie prise live sans effets, chorus de sax, flûte… La pochette, un tableau de C’Babi Bayoc, est aussi dans le ton qui renvoie à Marvin Gaye, Donny Hattaway ou Curtis Mayfield. C’est en arrivant au titre 1+1+1=3 que l’on trouve un air de déjà entendu, et l’on fait immédiatement une comparaison avec le titre Erotic City, une face-B légendaire de 1984. Mais il y a pire comme référence !
Après cela, la suite ne déçoit pas : Family Name est un extraordinaire groove de funk déconstruit à la Sly Stone, et rappelle le travail réalisé sur le Black Album. Les deux ballades, Muse 2 The Pharaoh et She Loves Me 4 Me, sont juste splendides. L’album se termine par deux chansons de huit minutes chacune : The Everlasting Now qui est le stéréotype de la grosse chanson funky ou du jam de fin de concert, surproduite, pas très surprenante, mais qui évolue vers des solos efficaces, et Last December qui laisse apparaître une certaine niaiserie au premier abord, mais qui elle aussi évolue vers quelque chose de plus mélodique.
L’une des richesses de cet album est aussi de comporter de nombreuses voix différentes, masculines et féminines, qui donnent de l’ampleur à plusieurs des titres. On reconnaît les voix de Milenia, un chœur de quatre demoiselles employées lors de la tournée Hit & Run Tour 2000, et de Kip Blackshire.
Globalement le disque s’inscrit dans une tradition. Cela veut dire qu’ici, Prince renonce à vouloir sonner contemporain. Mais là où certains se contentent de décalquer les formes d’un âge d’or (citons Bruno Mars, ou Pharell Williams…), Prince semble vouloir reprendre les choses où elles en sont restées pour poursuivre un travail laissé en plan. C’est cela qui est ambitieux, la volonté de reprendre à son compte une tradition – en gros celle de la soul music – pas pour l’empailler, mais pour la faire revivre. Cela se ressent surtout sur The Work Part I : puique plus personne n’en est capable, je vais faire le boulot, c’est a dire groover comme les JBs (et ça n’est pas une mince affaire).
Fourni avec une promo également originale – des singles distribués uniquement sur internet, sans clip, sans publicité – The Rainbow Children veut manifestement conquérir par la seule qualité de sa musique. Et il y arrive parfaitement.
Critiques
The Rainbow Children fut l’objet de deux courants critiques assez opposés. La critique américaine fut partagée, Rolling Stone par exemple ne lui accordant que 2 étoiles et demi. En revanche, la réception fut bien plus enthousiaste en Europe où The Rainbow Children est souvent positionné à la hauteur du travail de Prince dans les années 1980.
Performances commerciales
L’album a été un succès d’estime aux États-Unis, où il atteint à peine 160 000 exemplaires distribués. Il n’est resté que deux semaines dans le Top Albums US du Billboard, pointant à la 109ème place. Il atteint toutefois la 33ème place du Top R&B albums, et la 4ème place du chart des albums indépendants.
Dans les autres pays, il ne s’est distingué qu’au Japon début 2002 où il a atteint la 17ème place. A noter qu’il est paru dans les charts en France à la 78ème place du Top Album 200 du SNEP, où il est resté au total 9 semaines. Mais cette présence dans le chart fut tardive, et liée à la tenue de la tournée One Nite Alone en novembre 2002 soit une année après la sortie de l’album !
Le volume de ventes physiques dans le reste du monde fut à peut près équivalent aux États-Unis. On peut donc raisonnablement penser que The Rainbow Children s’est écoulé à environ 300 000 exemplaires dans sa première année, sans compter les ventes digitales.
Héritage
The Rainbow Children est resté peut être comme la dernière fulgurance stylistique de Prince, et en tous cas son meilleur disque des années 2000 voire même en englobant les années 2010. L’album a fait l’objet d’interprétations live de haute volée lors de la tournée One Nite Alone, immortalisée sur disque dans le coffret One Nite Alone… LIVE, ce qui montre à quel point Prince est satisfait de cet album. Après presque deux ans d’intenses interprétations en concert, le contenu de cet album est resté ensuite peu usité. Il faut dire qu’il n’est pas évident de sortir l’un des morceaux du contexte de l’album.