Controversy est le quatrième album de Prince. Il est paru le 14 octobre 1981 chez Warner Bros.
Genèse
Pour son quatrième album, Prince devait poursuivre la progression engagée avec les trois disques précédents. Controversy est le premier album consécutif au renouvellement de contrat chez Warner, après celui ayant permis la sortie des trois premiers albums. Ce renouvellement a été orchestré par les nouveaux managers de Prince, le trio Cavallo, Ruffalo & Fargnoli. En place depuis l’album précédent, ils ont déjà négocié la sortie du premier album de The Time en avril 1981, une production annexe autorisée dans le contrat initial.
Pour ce nouvel album, Prince veut aussi partager sa vision de la société. Un des évènements marquants est l’assassinat du chanteur des Beatles, John Lennon, à New York le 8 décembre 1980. Prince jouait le lendemain soir à moins de 2 kilomètres du lieu où cela s’est passé. Résolument sous le choc, Prince souhaite intégrer le sujet du contrôle des armes à feu dans ses propos, et l’affiche clairement sur la pochette de l’album où l’on retrouve deux phrases issues du titre Annie Christian, « Annie Christian sentenced to Die! » et « President signs gun control act ».
Le fait d’afficher une orientation politique servait à positionner Prince comme un leader d’opinion, malgré son âge précoce. La pochette, présentant des coupures de journaux factices, appuie le propos.
Enregistrement
Comme son prédécesseur, Controversy a majoritairement été créé à Minneapolis. Prince a déménagé dans une large maison située sur Kiowa Trail aux abords du lac Riley, en avril 1981. Il y fait installer l’équipement 16 pistes qu’il possédait déjà dans la maison précédente. Installé au rez-de-chaussée, la partie studio est plus large que la précédente. La majorité des pistes de l’album ont été enregistrées à cet endroit, durant le printemps et l’été 1981.
Des compléments, ainsi que le mixage, ont été réalisés à Los Angeles aux studios Hollywood Sound. Le dernier titre enregistré pour l’album fut Private Joy en août 1981. Ce titre a été enregistré aux studios Sunset Sound de Los Angeles, marquant ainsi le début d’une collaboration de plusieurs années avec ce studio. Ce titre a également la particularité d’être le premier à utiliser la boite à rythmes Linn LM-1 que l’on retrouvera sur de nombreux morceaux dans les années à venir, et qui est devenue l’une des marques de fabrique de Prince.
Deux titres ont été créés antérieurement aux sessions de 1981 : Do Me, Baby avait été écrit, au moins partiellement, par André Cymone en février 1979. André n’est pas crédité sur Controversy ce qui fut la source de sa discorde avec Prince. Il fut remplacé dans le groupe par Brown Mark. L’autre morceau est Let’s Work qui fut enregistré initialement sous le titre Let’s Rock. Prince souhaitait éditer ce titre en single juste après l’avoir enregistré, durant l’été 1981. Confronté au refus de la Warner, Prince a mentionné cet incident comme le premier exemple où la maison de disque avait contraint son idéologie artistique.
L’album est essentiellement une production de Prince lui-même, mais on note quelques participations comme celles de Lisa Coleman aux vocals, Bobby Z. à la batterie, et Dr Fink aux claviers.
Éditions
Controversy a bénéficié d’une sortie internationale. L’album est édité initialement aux USA avec un poster de Prince sous la douche, qui fit sensation. La réédition Rhino de 2011 pressée en Europe contient également ce poster. Parmi les autres pays où le disque est édité, on note : Australie, Canada, Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Japon, Mexique, et Nouvelle-Zélande.
Side 1:
- Controversy (7:14)
- Sexuality (4:20)
- Do Me, Baby (7:43)
Side 2:
- Private Joy (4:37)
- Ronnie Talk To Russia (1:51)
- Let’s Work (3:52)
- Annie Christian (4:21)
- Jack U Off (3:08)
Singles
Comme pour les albums précédents, on trouve différentes éditions de singles et de pochettes selon les pays. Si le titre Controversy a été logiquement choisi comme 1er single dans la majorité des pays, on notera que Sexuality lui a été préféré au Japon et en Allemagne. Let’s Work est souvent le second single. Enfin, Do Me, Baby est sorti uniquement aux États-Unis et… au Pérou !
Les éditions en maxi-singles sont moins nombreuses. Controversy n’est édité dans ce format qu’en Angleterre et aux Pays-Bas. L’Allemagne, qui a préféré Sexuality, nous gratifie d’une pochette à la limite du bon goût. Les maxis de Let’s Work comportent la première réelle version longue d’un titre de Prince (si l’on excepte Sexy Dancer paru uniquement en Grande Bretagne précédemment). Le titre Let’s Work est ici sublimé par une partie allongée, avec de nouveaux éléments musicaux qui apportent beaucoup au morceau d’origine. A noter que l’édition américaine et l’édition européenne de ce titre n’ont pas du tout la même pochette. Sur l’édition américaine on retrouve en face B le titre Gotta Stop (Messin’ About) paru en Angleterre l’année précédente.
7″ singles
Controversy / When You Were Mine AU, CA, FR, GB, NL, US
Sexuality / Controversy DE, JP
Let’s Work / Ronnie, Talk To Russia DE, GB, NL, US
Do Me, Baby / Private Joy US, PR
12″ singles
Controversy / When You Were Mine GB, NL
Sexuality / Controversy DE
Let’s Work (dance remix long version 8:02) / Ronnie, Talk To Russia DE, NL, GB
Let’s Work (dance remix long version 8:02) / Gotta Stop (Messin About) CA, US
Do Me, Baby (edit 3:57) / Private Joy [promo] US
Analyse
Avec Controversy, Prince pose définitivement les bases du Minneapolis Sound que nous n’avions fait qu’entrevoir sur les premiers albums. Savante mixture de funk, de rock, de disco, et de soul, ce nouveau courant musical se veut à la fois l’héritier de la créativité des années 1970, et à l’avant-garde d’un son nouveau, multiculturel et omniprésent. Le morceau titre, tout particulièrement, est représentatif de ce nouveau courant. Sur un rythme disco, toujours sans cuivre, Prince délivre un électro-funk teinté de soli de guitares rock. Par dessus cet écheveau, figure la voix de Prince : brillante, syncopée, envoutante. Rien qu’avec ce titre, Prince défriche avec 20 ans d’avance les courants techno et dance, ainsi que la magie des home studios qui prédominera dans les années 1990/2000.
Si le reste de l’album est de facture plus classique, Prince introduit pour la première fois l’usage de la boîte à rythmes Linn LM-1. Dans les années qui suivent, il deviendra un virtuose de la programmation de cet appareil, empilant des strates de beats de batterie électronique synchronisés. Cet instrument est notamment audible sur les titres Sexuality et Private Joy.
Parmi les morceaux offrant le plus la fusion funk/rock, on trouve Let’s Work doté d’une ligne de basse fantastique. Sexuality est d’un courant plus rock/punk, mais doté d’une guitare rythmique funky, pas très éloigné du « punk funk » de Rick James. Ronnie, Talk To Russia et Jack U Off donnent plus dans une sorte de rockabilly / ska qui rejoint un peu le groupe Madness. Et si Private Joy sonne funk à l’écoute on se rend compte, en le mélangeant à d’autres morceaux funk de la même époque, que le style tranche assez radicalement. C’est toute la force de Prince : il fait sonner ses titres comme une évidence, quelque chose de déjà connu ou entendu, alors que le son est totalement nouveau.
Sur ce disque, Prince tente donc de délivrer un message plus sérieux que sur le disque précédent, où l’érotisme était le sujet quasi unique. Ici, dans le morceau titre, il se joue de la « controverse » qu’il a lui-même suscité en posant malicieusement des questions comme : « suis-je noir ou blanc ? suis-je hétéro ou homo ? », tout en étant révolté contre la « curiosité humaine ». Le morceau contient également une récitation du Notre Père qui introduit plus que jamais l’élément religieux dans la musique de Prince.
Le titre Sexuality est particulièrement intéressant : alors que le titre lui-même suggère le sujet développé dans la chanson, il est en réalité question d’une nouvelle forme d’éducation. Si la sexualité est « tout ce dont on aura besoin » (après tout, pourquoi pas), Prince conseille de ne pas « laisser les enfants regarder la télévision tant qu’ils ne savent pas lire » et fustige les « touristes qui ne connaissent le monde qu’à travers leur appareil photo ». Il encourage même à faire la révolution : « stand up, organize ! ».
Dans le même délire politico – éducatif, Ronnie, Talk To Russia est une petite perle, pratiquement singulière dans la carrière de Prince. Dans ce titre, Prince invite Ronald Reagan, alors fraichement élu Président des États-Unis, à ouvrir le dialogue aux Russes, « avant qu’il ne soit trop tard, et qu’ils ne fassent exploser le monde ». Il faut dire qu’à cette époque, la tension entre les États-Unis et l’Union Soviétique fait craindre une escalade qui mènerait à une guerre nucléaire totale. Cette préoccupation est partagée par de nombreux artistes, qui développent le thème des relations Ouest/Est : on peut citer notamment les titres Russians de Sting, Nikita de Elton John, ou même en France, Vladimir Illitch par Michel Sardou. Le titre est musicalement enjoué, presque joyeux, ponctué de bruits de mitraillettes et d’explosions, et se termine par un son de guitare distordue. C’est pratiquement le seul titre où Prince apostrophe de manière aussi concrète l’administration américaine ou mentionne un autre pays, ses propos ultérieurs étant plus nuancés ou bien plus vagues.
Annie Christian est une autre pièce musicale sur un thème de société : le contrôle des armes à feux, un sujet récurrent aux États-Unis. Dans ce morceau, Prince apostrophe une nouvelle fois Reagan. Il est aussi question d’un fait de société (la mort d’un jeune noir à Atlanta), et de l’attentat contre John Lennon. La mention « Annie Christian, antichrist » a valu à Prince de nombreuses interrogations de la part de son public. Il faut dire que bien avant Madonna, Prince prend un malin plaisir à être provocateur sur le sexe et la religion, ce qui cause des scandales de plus en plus importants au fur et à mesure que sa popularité grandit.
Au delà de ces morceaux à tendance politique ou sociétale, le sexe reste un élément fondateur de l’album à travers notamment Do Me, Baby et Jack U Off, deux odes à la masturbation.
Critiques
Les critiques applaudissent la qualité de la musique et l’audace, notant les progrès comme très encourageants. En revanche, l’aspect politique propre à cet album a été jugé risible, et cette stratégie sera complètement abandonnée sur les albums ultérieurs. Elle sera ensuite diluée dans des messages plus généraux de paix et d’amour, ou de religion.
Performances commerciales
Le single Controversy, paru six semaines avant la sortie de l’album, n’a atteint que la 70ème place du classement Billboard généraliste aux États-Unis. En revanche, il a atteint la 3ème place du chart Soul. Ce qui prouve que la volonté de cross-over de la part de Prince était encore loin d’être gagnée. De même, l’album fut classé n°21 dans le chart Pop alors qu’il se propulsa jusqu’à la 3ème place du chart Soul. L’album a été certifié Disque d’Or en janvier 1982, puis Disque de Platine en 1985 aux USA. Enfin, le titre Let’s Work atteint la 1ère place du chart Top Disco 80 US ce qui fut une première pour Prince.
Héritage
Controversy est une étape essentielle dans la discographie de Prince, par l’apport qu’il a procuré dans la création du Minneapolis Sound. Le morceau titre, ainsi que Do Me, Baby, ont été jouées dans pratiquement toutes les tournées ultérieures. Let’s Work, joué régulièrement lors de la tournée qui suivit l’album, fit une réapparition en 1998 et dans plusieurs autres tournées ensuite.
Pour autant, dans la globalité de la discographie princière, cet album est un peu coincé entre un Dirty Mind brillant et audacieux, et le double album 1999 qui vient juste après, et qui l’éclipse considérablement. Au final, cet album est reconnu essentiellement par son sublime morceau titre.