Dirty Mind est le troisième album de Prince. Il est paru le 8 octobre 1980 chez Warner Bros.
Genèse
Après un premier album au succès commercial en demi-teinte, puis un second qui fut celui de son premier hit aux États-Unis, quelle direction artistique Prince pouvait-il prendre pour le troisième album qu’il devait livrer à Warner ? La logique aurait voulu qu’il continue de capitaliser sur la base de son auditoire obtenu avec le succès de I Wanna Be Your Lover, et la bonne presse issue de ses concerts en première partie de Rick James, de février à avril 1980.
Mais pour espérer devenir une star parmi les plus grandes, Prince devait se démarquer et s’émanciper de l’environnement Soul / Funk de ses débuts. A cette époque encore majoritairement puritaine, Prince avait déjà commencé à se faire remarquer par ses excentricités vestimentaires, en se produisant sur scène en slip panthère ou en cuir.
Musicalement, le début des années 1980 est marqué par l’arrivée du punk et de la new-wave, deux courant musicaux qui eurent une influence majeure dans la carrière de Prince. Le fait qu’il utilise beaucoup de synthétiseurs, et qu’il produise des morceaux d’une relative simplicité mélodique, l’a conduit à embrasser cette nouveauté. L’autre raison qui l’orienta vers cette tendance, est qu’il n’y avait plus de budget studio pour produire le troisième album, malgré le succès rencontré par le second. Prince a donc essentiellement conçu son troisième album dans son home studio de Minneapolis, lequel disposait d’une console 16 pistes. Il en résulte un son minimaliste et ciselé, ressemblant à des maquettes non terminées.
D’autre part, à cette époque l’évolution de la musique après la très riche décennie des 70’s est encore incertaine. Le disco à strass et paillettes est en perte de vitesse. La musique black est aseptisée, et elle est moins inspirée que par le passé. Les grands groupes de funk, à chanteurs multiples et sections de cuivres, se radicalisent faute de moyens. Le Hip-Hop, musique de rue des quartiers défavorisés, est encore embryonnaire. Pour parvenir à ses fins, Prince devait trouver une alternative, tant pour la musique que du point de vue de l’image.
Enregistrement
Dirty Mind est le premier album de Prince à être créé intégralement à Minneapolis. Les notes de pochette indiquent que le disque a été réalisé « quelque part dans Uptown », cette dénomination étant en fait le surnom que Prince donne à sa ville d’origine et au quartier de Calhoun Square, au sud de la ville. Les sessions ont eu lieu en mai et juin 1980, et seul le mixage et quelques ajouts ont été effectués en studio professionnel, à Hollywood Sound, Los Angeles, en juin 1980. L’album a été finalisé en août avec la production de quelques test-pressings.
Si l’album reste essentiellement un travail de Prince seul, on note quelques contributions. Lisa Coleman fait les choeurs sur Head, et Dr Fink est crédité pour son riff de synthé dans Dirty Mind, et le solo sur Head. D’autre part, il est connu que Partyup soit à l’origine une composition de Morris Day que Prince a récupéré. En échange de quoi, Prince a promis à Morris Day l’obtention d’un contrat auprès d’une maison de disques, ce qui se concrétisera en 1981 avec la création de The Time.
Dans le personnel listé sur les notes de pochettes, on note le nom de Jamie Starr. Il s’agit d’un stratagème employé par Prince pour faire croire que ce personnage existe vraiment. En réalité c’est un pseudonyme que Prince utilisera sous l’emblème « The Starr Company », comme signature sur les disques de The Time, Vanity 6, Apollonia 6, et Sheila E.
Éditions
Dirty Mind a bénéficié, comme son prédécesseur, d’une sortie internationale. Toutefois le nombre de pays où il a été diffusé était un peu plus restreint, peut être du fait de la pochette sur laquelle Prince apparaît en slip. Dans certains cas, comme en Espagne, l’album n’est sorti qu’après 1984. Sinon, les éditions sont globalement similaires partout.
Side 1:
- Dirty Mind (4:11)
- When You Were Mine (3:44)
- Do It All Night (3:42)
- Gotta Broken Heart Again (2:13)
Side 2:
- Uptown (5:30)
- Head (4:40)
- Sister (1:33)
- Partyup (4:24)
Singles
Cet album a donné lieu à des sorties de singles très hétéroclites. Aux États-Unis, le premier titre édité fut Uptown, qui bénéficia d’une pochette avec titre mais sans photo. Ce single fut également édité dans des pays exotiques, mais il ne parut en Europe qu’aux Pays-Bas. Sa face B était Crazy You, un extrait du premier album. Seuls les Pays-Bas éditeront une version maxi-45T (comprenant la version de l’album en lieu et place de l’edit raccourci du 45T), bien que l’on trouve aussi un maxi promo en France.
Le second single américain fut le titre Dirty Mind, paru dans une édition sans pochette et avec When We’re Dancing Close And Slow en face B.
La Grande-Bretagne fait un choix totalement différent pour le premier single, en éditant Do It All Night en format 45T et maxi-45T sans pochette, avec Head en face B. Dans le but de promouvoir le premier concert de Prince à Londres, en juin 1981, Warner UK frappe fort en éditant en single un titre qui ne figure pas sur l’album : Gotta Stop (Messin’ About). Le 45T est couplé avec I Wanna Be Your Lover en face B et y ajoute Head sur le maxi-single. Plus étonnant encore est la formidable pochette zébrée rouge et noire sur laquelle Prince apparaît en slip.
Très vite, Warner UK se retrouve sous le feu des critiques au sujet de cette pochette et se voit contraint d’éditer une seconde version du single en choisissant une pochette bien plus sage. Assez curieusement, cette nouvelle édition comporte exactement le même numéro de catalogue (LV47). Ceci alors que sur le maxi single, le titre Uptown remplace I Wanna Be Your Lover.
A noter que le titre Gotta Stop (Messin’ About) sera également édité en maxi promotionnel aux Etats-Unis, avec la particularité de disposer sur ce disque d’une version edit du titre Partyup qui n’existe que sur cette édition. Enfin, le titre When You Were Mine, très demandé par les radios, bénéficiera d’une sortie en maxi promotionnel américain, mais pas d’une sortie en single commercial.
7″ singles
Uptown / Crazy You NL, JP, NZ, US
Dirty Mind / When We’re Dancing Close And Slow US
Do It All Night / Head UK
Gotta Stop (Messin’ About) / I Wanna Be Your Lover UK
Gotta Stop (Messin’ About) / Uptown UK
12″ singles
Uptown / Crazy You NL
Uptown / Head / Uptown / Dirty Mind [promo] FR
Uptown (edit) / Uptown (album) [promo] US
Dirty Mind / Dirty Mind (edit) [promo] US
Do It All Night / Head UK
Gotta Stop (Messin’ About) / I Wanna Be Your Lover / Head UK
Gotta Stop (Messin’ About) / Uptown / Head UK
Gotta Stop (Messin’ About) / Partyup (edit) / Head / When You Were Mine / Uptown [promo] US
Head / Sister / Partyup [promo] US
When You Were Mine / Gotta Broken Heart Again / Uptown [promo] US
Analyse
Sur le plan musical, Dirty Mind marque un net tournant par rapport aux deux premiers albums. Si la base des morceaux reste commune avec le funk et la soul, les arrangements sont caractéristiques du rock et de la new-wave. Le beat robotique du morceau-titre, et ses attaques de synthé, en sont une preuve évidente. When You Were Mine, souvent jugée comme une de plus intéressantes compositions de Prince des premières années, propose également une ambiance musicale qui se rapproche des courants new-wave, avec des groupes comme The Cure ou Depeche Mode. Tout aussi typé rock, le titre Sister prend des accents punk. Partyup, plus groovy, est dans le même bain.
Les morceaux funk sont aussi présents, comme le disco/pop Uptown ou le somptueux Head avec sa ligne de basse fantastique, son riff de claviers, et son incroyable solo de synthé simulant l’orgasme.
Do It All Night est de facture plus classique, et Gotta Broken Heart Again est une ballade soul agréable, malgré la persistance d’une ambiance larmoyante typique des premières compositions de Prince.
Le son global de l’album est plus incisif, plus brut, d’aspect moins travaillé que les deux précédents disques, mais ne nous trompons pas : la qualité des interprétations, la finesse de l’instrumentation, et la magie de la voix conduisent à une évidence telle que même le propos le plus salace est pardonné.
Pourtant, Prince ne fait pas dans la demi-mesure au sujet des paroles. L’album marque une franche rupture avec les disques précédents, et même avec l’ensemble de la production musicale de l’époque. Si George Clinton ou Sly Stone avaient déjà souvent produit des chansons aux paroles explicites, jamais un musicien noir n’avait osé s’aventurer aussi loin. Désormais sûr de lui, Prince délivre des textes très crus et même le titre de l’album, que l’on peut traduire par « esprit obscène » annonce la couleur. Dans le morceau titre, il dit « peu importe où nous sommes, ou si on nous regarde, je veux juste coucher avec toi ». Dans When You Were Mine, il fait l’apologie du ménage à trois : « je sais que tu sors avec un autre homme, mais je m’en fiche, entre nous pas de mensonges » avant de poursuivre, « je n’ai jamais été du genre à faire des histoires, même quand il était là, endormi entre nous deux ».
Le morceau Uptown est singulier, il est question d’un endroit où les comportements et la couleur de peau ne sont pas jugés : « là d’où je viens, nous ne laissons pas la société nous dire ce que nous devons faire. Nos vêtements, notre coupe de cheveux, peu importe, l’important c’est d’y être présent ». Il poursuit : « dès que nous y sommes, les temps sont joyeux, qu’on soit blanc, noir, ou porto-ricain ». Il s’agit d’un premier morceau sociétal et revendicatif de Prince.
Autre morceau particulièrement remarqué, Head raconte l’histoire d’une fille que Prince arrive à séduire le jour de son mariage, et elle lui pratique une fellation. Dans Sister, il évoque l’inceste : « ma soeur n’a jamais fais l’amour avec quelqu’un d’autre que moi » dit-il. Dans les faits cette histoire est probablement largement exagérée, mais le doute subsista volontairement pour encourager la provocation et construire le mythe Princier. Les fans avaient calculé que lorsque Prince « avait 16 ans et n’était encore qu’un demi-homme » il était logé à New-York chez sa demi-soeur Sharon.
Pour autant, si les textes paraissent crus au premier abord, ils ne sont jamais divulgués de façon malsaine ou vulgaire. Ou tout du moins, le premier degré de vulgarité est contrebalancé par un humour torride et surtout une musique et une voix exceptionnelles. A ce point de vue, on peut comparer Prince à l’artiste français Serge Gainsbourg qui excelle dans le même registre.
Critiques
Dirty Mind a considérablement surpris l’auditoire des premiers albums de Prince. Mais il lui a permis de gagner la vénération des critiques rock. On commence à voir en lui le successeur de Jimi Hendrix et de Sly Stone réunis.
Performances commerciales
L’album a surtout été un hit underground, bénéficiant d’une très bonne presse dans la critique spécialisée. Il n’a obtenu que le 45ème place du Billboard 200 US, et il faudra attendre juin 1984 (probablement lié au succès de Purple Rain) pour qu’il obtienne la certification de Disque d’Or. L’album a reçu aussi un accueil favorable en Europe, ce qui a conduit Prince à assurer sa première tournée européenne, dans trois ville : Amsterdam, Londres et Paris, en juin 1981.
Héritage
Dirty Mind est une pièce essentielle de la carrière de Prince. En gagnant les honneurs de la critique rock, Prince pose les bases d’un cross-over qui ne fera que s’affirmer les années suivantes. L’album n’est pas bien épais (33 minutes au total), mais la musique brillante et le parfum de scandale donneront une forte légitimité à ces morceaux dans le répertoire de Prince. When You Were Mine, et Head donneront lieu à des versions live dans de nombreuses tournées ultérieures. Dirty Mind et Sister seront également présents sur la tournée Lovesexy ’88. Enfin, Gotta Broken Heart Again a fait un retour remarqué lors de la tournée One Nite Alone, en 2002.