Cette page détaille mon expérience vécue lors du concert de Prince and The Revolution, à Paris Le Zenith, le 25 août 1986.
Le contexte
Si l’Amérique a succombé à la musique de Prince depuis Purple Rain, l’Europe a encore un train à attraper. La décision de Prince de ne pas poursuivre la tournée Purple Rain en dehors des États-Unis et l’arrivée rapide de l’album Around The World In A Day, dès avril 1985, ont fait que le phénomène Prince est encore resté aux bornes du pays de l’Oncle Sam, du moins pour le « grand public ». Mais en 1986 le contexte est différent : Prince a tourné son second film en France, et il semble être attiré de plus en plus par l’ancien continent. En parallèle, si l’Europe n’a pas encore cédé à une Princemania caractérisée il n’empêche que sa base de fans se constitue petit à petit, en s’appuyant sur les sorties effrénées de singles (citons Paisley Park, Raspberry Beret, Pop Life, Kiss et Girls & Boys qui passent régulièrement en radio) et les premières productions du label Paisley Park, notamment Sheila E avec le tube A Love Bizarre. La Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, et bien sûr l’Angleterre sont déjà des terrains conquis, mais la France accuse encore malgré tout un certain scepticisme et des volumes de ventes toujours timides.
C’est surtout avec le single Kiss, n°1 américain mais aussi grand succès en Europe, que la consécration mondiale pointe son nez. Délaissant cette fois les États-Unis, où il ne donnera que quelques concerts au format « hit’n’run » (comprendre : en prévenant à la dernière minute), Prince part à la conquête de l’Europe durant l’été 1986. Mais il ne s’agit pas de la machine de guerre bien huilée façon Purple Rain Tour. Créant l’évènement, la tournée européenne de Prince & The Revolution est organisée dans l’urgence. Trois dates en Grande-Bretagne, trois autres aux Pays-Bays, une date en Suède, une en Allemagne, et ce sera tout. Qu’en est-il de la France ? Comme souvent, nous sommes longs à réagir. Et nous sommes en pleine période d’été. La confirmation d’un concert à Paris ne s’effectuera que tardivement, laissant un délai extrêmement court tant aux organisateurs qu’aux spectateurs pour s’y préparer.
Le concert est organisé par Jean-Claude Camus et Gilbert Coullier de Zéro Productions, en lien avec la radio NRJ. Interrogé par les médias, Jean-Claude Camus a déclaré que ce concert lui a apporté du prestige mais fut assez peu rentable en terme financiers.
Le concert de Paris doit faire face aux absences estivales, au choix du Zénith faute d’un Palais Omnisports de Bercy en travaux, et à la précipitation qui nécessitera d’imprimer les billets en catastrophe et de ne les distribuer que via un unique point de vente, le Casino de Paris, tout juste une semaine avant l’évènement. Nous nous situons chronologiquement après la sortie de l’album Parade, et un peu avant la sortie du film Under The Cherry Moon dans les salles de cinéma européennes.
Pour les fans qui y ont assisté, le concert de Paris tient une place toute particulière. L’expectative, l’attente et la délivrance ont été telles qu’il faudrait tout un roman pour le décrire.
Il faut se replacer dans le contexte de l’époque pour comprendre. Tout d’abord il n’y avait en 1986 ni internet, ni téléphone mobile, ni chaînes câblées de télévision. Il était difficile d’obtenir des informations fiables sur Prince, et un grand nombre de rumeurs farfelues circulaient. La seule chose que l’on connaissait réellement sur lui consistait en ses disques, et les rares émissions TV ou les magazines qui avaient voulu parler de lui en France.
Tout le monde à l’époque pensait que Prince en voulait à mort à la France : à cause des disques qui se vendent mollement, mais surtout parce qu’il se serait fait jeter de scène cinq ans plus tôt, lors de son concert au Palace de juin 81 ! On sait depuis que ce n’est pas du tout cela qui s’est passé, mais en ce temps là les rumeurs étaient tenaces.
Les billets et la salle
Rappelons encore une fois qu’à l’époque les moyens de communication étaient limités. Pourtant, presque instinctivement, il y eut un buzz énorme autour de ce concert dès que l’on sût qu’il était confirmé. Beaucoup de gens ont écourté leurs vacances et sont remontés à Paris pour l’achat des billets. Les billets ont été mis en vente le matin du lundi 18 août (juste après le week-end du 15 août), au Casino de Paris, car il fut impossible de les imprimer et les distribuer dans les FNAC et magasins spécialisés en si peu de temps. Il était alors très rare d’avoir un délai aussi court pour vendre un évènement musical. Le jour de la mise en vente, les gens ont commencé à faire la queue au milieu de la nuit devant le Casino de Paris. A cinq heures du matin, la file d’attente faisait déjà plusieurs centaines de mètres !
Les achats de billets étaient limités à quatre par personne, pour un prix unitaire de 150 FF (23€). Dès l’ouverture le guichet fut pris d’assaut et en quelques heures dans la matinée (à 10h?) tous les billets furent vendus, ce qui était exceptionnel à l’époque. La billetterie manquant de monnaie, les derniers tickets se sont même vendus à 200 FF (30 €).
Le jour du concert est arrivé très vite ensuite. Sur place, le marché noir fût florissant dès le début de la journée. Débutant vers 300 FF (46€), les prix ont atteint 1500 FF (230€) et on a même parlé de 3000 FF (460€) pour une place achetée par Gérard Depardieu à la sortie du métro !
Une certaine polémique pris place parmi les fans au sujet des invitations : sur une capacité de 6000 places au Zénith, on parlait de près de 1000 invitations réservées pour les VIP ! Les personnalités identifiés dans la salle furent nombreuses en effet : Gérard Depardieu, Catherine Deneuve et son mari Pierre Lescure (alors président de Canal+), Jack Lang, Gilbert Bécaud, Stéphane Collaro, Michel Berger, France Gall, Jean-Louis Aubert, Antoine de Caunes…
La configuration de la salle fut aussi l’objet de nombreux questionnements : des sièges ont été placés aux premières loges, juste devant la scène. La fosse debout était ainsi reléguée une dizaine de rangs en arrière, derrière une barrière de séparation.
La salle s’est remplie au son de l’album de Mazarati. Il n’y eut pas de première partie: lorsque la lumière s’éteignit, l’immense rideau noir qui cachait la scène n’avait rien laissé passer. A ce moment, rien ne permettait d’affirmer que Prince viendrait bien faire le concert, et tout le monde se disait qu’il pouvait encore changer d’avis à la dernière minute. Bien rares étaient les fans qui avaient entendu parler de l’aftershow donné la veille au New Morning, et même avec cela bien courageux aurait été celui qui aurait certifié la présence de Prince au Zénith ce soir là ! C’est dire la tension qui régnait lorsque les lumières du Zénith s’éteignirent…
Le show
Lorsque les premières notes de musique jouées par The Revolution ont commencé à traverser les baffles du Zénith, l’excitation était à son comble ! Le concert a débuté avec Around The World In A Day mais le satané rideau noir restait invariablement fermé. Le temps de se demander ce qui se passe, pendant les deux premières minutes, et bien que Prince eut commencé à chanter, le public se demandait encore si le concert allait avoir lieu ou non. Du fait de ce stratagème, le public fut chauffé à blanc en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire et lorsque enfin le rideau s’ouvre, on passe déjà à Christopher Tracy’s Parade.
Le premier quart d’heure du show est réellement magique : Prince est partout, il virevolte, tourne sur lui-même, multiplie les pas de danse, les sauts et les grands écarts, fait participer le public… Les titres s’enchainent à une vitesse folle et on a le sentiment que tout va beaucoup trop vite. Il se passe trop de choses en même temps et on ne sait plus ce qu’il faut retenir : le groupe, qui délivre un set magistral, ou ce chanteur que l’on voit pour la première fois « en vrai » et vers lequel convergent 6 000 paires d’yeux écarquillés.
Tout au long du spectacle, Prince va complètement se déchainer et donner le meilleur de lui même. Comme l’ont expliqué Wendy And Lisa dans des interviews ultérieures, le groupe pensait que Paris allait être la date la plus difficile de la tournée. En gros, l’appréhension était la même du côté du public et du côté de Prince ! La réception du public fut exemplaire, et ce n’est rien de le dire: une véritable histoire d’amour s’est alors construite entre Prince et Paris, ce qui a conduit notre artiste à louer un appartement à Paris avenue Foch et à y revenir régulièrement incognito.
La foule du Zénith n’a pas laissé une seule minute de répit à Prince et à son groupe, qui avaient prévu de déployer l’artillerie lourde pour faire bouger le public : au milieu du show (durant l’intro de 17 Days) il annonce que ce show est enregistré et servira pour un album live ! Ce projet n’a pas vu le jour mais un morceau spécialement composé pour Paris, It’s Gonna Be A Beautiful Night, se retrouvera sur l’album Sign O The Times avec un remerciement aux « 6 000 merveilleux parisiens ». Il faut préciser que le jour du concert, ce titre était un instrumental, et ni Jill Jones ni Sheila E n’étaient à Paris, les voix ont été ajoutées en post-production.
Le show se termine par Kiss puis un Purple Rain magique avec une salle bougeant de gauche à droite avec les briquets allumés.
La sortie du concert
A bien des égards nous avons eu droit à une claque magistrale, à un show ultime par un artiste multiformes qui maîtrise l’espace et le son d’une telle manière que nous sommes rassasiés, hébétés, sonnés, et hypnotisés. Les mots ne suffisent plus pour décrire l’émotion que nous avons ressenti. Pendant de nombreuses semaines après cette date du 25 août 1986, il sera impossible d’écouter autre chose que Prince. Tout le reste nous semble insipide, sans âme, fade et insignifiant.
La foule ressort du Zénith en état de choc. Impossible d’expliquer à une tierce personne ce que ce concert a représenté, surtout pour l’adolescent de 15 ans que j’étais alors.
Le lendemain, l’effervescence était sur toutes les radios. Les articles furent dithyrambiques ou à défaut ont fait part de leur incompréhension par rapport au phénomène. Les commentaires furent élogieux. Prince fut immédiatement considéré comme le plus grand showman de la décennie! Et dire qu’il est revenu moins d’un an après… pour Sign O The Times !
Pour être tout à fait partial, il y eut tout de même quelques critiques par rapport au concert. Certains journalistes ont estimé que le show était « à l’américaine », trop cadré, et trop parfaitement répété. Il est vrai que pour l’Europe, un public réputé plus exigeant, le show a été moins inspiré et libre que les quelques concerts au format « hit & run » donnés aux Etats-Unis. Par rapport à l’audace du concert au Palace en 1981, et à l’exubérance des concerts de Purple Rain vus à la télévision, la tournée Parade donnait le sentiment d’un Prince assagi, plus jazzy, et plus carré.