Cet article relate mon expérience vécue lors du concert de Prince à Paris, au Parc des Princes, le samedi 16 juin 1990 dans le cadre de la tournée Nude Tour.
Le contexte
La tournée Nude Tour a lieu durant l’été 1990. Après trois tournées importantes en 1986, 87 et 88 en Europe, Prince avait fait une pause en 1989 pour se consacrer à l’écriture et la sortie de la BO du film Batman. Cette tournée se situe donc à la suite de cet album, et quelques semaines tout juste avant la sortie de l’album suivant : Graffiti Bridge. Beaucoup de nouveaux fans ayant découvert Prince avec Batman ont donc grossi les rangs des spectateurs.
Cette tournée fut annoncée plusieurs mois à l’avance ce qui est assez rare chez Prince pour être signalé. Beaucoup de stars majeures, comme David Bowie, les Rolling Stones, ou Madonna, avaient prévu de tourner durant l’été 1990 donc la concurrence était rude. Contrairement aux tournées précédentes qui s’appuyaient sur un album, la tournée Nude était présentée comme une tournée « best-of », revenant aux bases du rock n’roll, et avec des moyens plus simples que les fois précédentes (d’où le nom de « Nude », nue en anglais). L’essentiel de la tournée eu lieu dans des salles de moyenne taille (avec un record de 16 shows prévus à Londres dans la Wembley Arena), cependant un nombre conséquent de dates furent aussi programmées dans des stades, ce qui fut le cas à Paris. La date de Paris est situé dans la première quinzaine du tour, elle est d’ailleurs la plus importante en terme de spectateurs puisque on annonce 60 000 personnes pour ce show. Il est probable que pour les promoteurs, il était plus intéressant de prévoir une seule date dans un immense espace que quatre fois Bercy comme les deux tournées précédentes. De plus, cela permettait de proposer un changement par rapport aux shows antérieurs.
Cette année-là est l’année où je passe le bac. Les épreuves ont lieu en plein mois de juin, et les plus importantes pour moi à partir du… lundi 18 juin. Pour aller au concert, j’ai du négocier avec mes parents un mois complet de révisions sans sortie le week end contre la possibilité d’assister au concert le samedi 16 juin.
Avec une telle capacité, l’achat du billet de concert ne fut d’aucune difficulté. Pour la première fois je choisis d’acheter une place en pelouse, car les gradins me semblaient trop éloignés dans un stade.
La journée avant le show
Pour les concerts de Bercy, nous choisissions d’arriver en début d’après midi. Pour un concert au Parc des Princes, avec quatre fois plus de spectateurs, il fallait bien arriver dès le matin ! C’est ainsi que ce samedi 16 juin, je pris le train de banlieue à… 7:00 du matin pour me rendre jusqu’à Porte d’Auteuil, où je suis arrivé un peu avant 9 heures.
La journée promettait d’être longue, et avec mes camarades de concert nous avions suivi une préparation intense les semaines précédentes : petite course à pied régulière, régime alimentaire allégé et à base de riz les derniers jours, etc.
Lorsque nous sommes arrivés aux abords du Parc des Princes en ce début de journée, l’endroit était évidemment encore très calme et épuré. Toutefois, un groupe d’une cinquantaine de personnes environ était déjà là, assis ou même couchés sur les marches. Nous apprenons avec stupéfaction que certains d’entre eux ont dormi sur place ! La plupart sont en provenance de pays étrangers et sont arrivés sur Paris la veille au soir ou pendant la nuit. Tout au long de la journée, nous verrons effectivement arriver des autocars chargés d’anglais, d’allemands, de belges, de néerlandais, qui ont fait le déplacement en imaginant que Paris serait l’une des meilleures dates de la tournée si l’on se base sur les retours des trois tournées précédentes.
Les deux premières heures d’attente se sont déroulées dans le calme malgré une excitation déjà palpable pour le concert du soir. En fin de matinée, nous voyons arriver plusieurs camions de compagnie de CRS, qui déversent peu à peu une grande quantité d’hommes en uniforme, et on se dit que les choses vont doucement s’organiser. Effectivement ils commencent à mettre en place des barrières métalliques pour retenir la foule dans les rues adjacentes, empêchant ainsi les nouveaux arrivants de nous rejoindre sur la place où nous nous situons. On se dit alors qu’on a bien fait de venir tôt, car nous avons du coup une situation privilégiée ! Nous ricanons en nous disant que nous sommes assurés d’être les premiers à entrer.
Mais peu après les CRS et le service de sécurité commencent à mettre en place des files de barrière parallèles devant les portes d’entrée, et à notre grande désapprobation nous demandent de quitter les lieux ! Les premiers fans sont renvoyés jusque derrière les barrières des rues adjacentes, et qui plus est au fond de la foule compacte qui a commencé à se masser devant ces barrières. Impensable pour nous, qui préférons nous diriger vers la petite rue à droite, qui dispose aussi de sa barrière de retenue, mais où il n’y a encore presque personne. En nous dirigeant par là, nous apercevons une entrée d’immeuble entre-ouverte, et nous engouffrons dans le hall pendant un moment d’inattention des CRS.
Nous étions un groupe de 7 à 8 personnes et pour éviter de se faire attraper dans le hall de l’immeuble, nous montons dans les étages jusqu’aux chambres de bonne situées en haut de l’escalier. Là, un palier assez large nous semblait l’endroit idéal à squatter jusqu’à l’ouverture des portes du stade. A vrai dire, l’action ayant eu lieu sur l’instant, nous n’avons pas vraiment réfléchi à comment nous allions sortir le moment venu, sachant que les CRS étaient postés dehors.
Quelques instants à peine après notre installation, nous commençons à entendre des bruits dans l’escalier et de fortes vociférations. Le gardien de l’immeuble, accompagné de quelques CRS déboule en haut de l’escalier en hurlant à plein poumons, et nous demandant de quitter les lieux immédiatement. Nous descendons prestement sous peine de nous prendre des coups de matraque. On se croirait dans une manif étudiante. A la décharge du gardien d’immeuble, il ne doit pas être facile de gérer les lourdeaux comme nous à chaque match ou chaque concert.
Nous revoilà donc dehors et je me retrouve sur le côté, juste à l’arrière d’une barrière métallique où je resterai encore environ cinq heures, avec la foule qui s’amasse au fil du temps derrière moi et fait ressentir une pression de plus en plus forte. Vers 16h, la foule scande des chansons de type « les CRS avec nous » ; on a tenté de négocier avec les policiers gardant notre barrière en leur expliquant que nous étions les premiers sur place et qu’il faudrait que l’on ouvre notre rue avant les autres. On obtient alors l’approbation d’une sorte de demi-chef mais qui ne semblait pas très assuré de son coup. Il promet d’ouvrir de notre côté 1 minute avant la rue principale où se trouve la majorité des gens.
A l’heure H moins une minute, il y eut un instant d’hésitation quand soudain nous entendîmes une énorme clameur venir de l’autre rue : les barrières transversales se sont ouvertes et une immense marée humaine s’engouffrait déjà dans les files de barrière. On proteste, et très vite (mais encore trop lentement pour nous) notre barrière s’ouvre enfin. Après cinq heures de station debout dans un espace très réduit, voilà que l’on doit courir pour présenter notre billet. La fouille passée, on déboule dans le stade encore vide et là c’est l’éblouissement total, au premier sens du terme. Les organisateurs ont jugé bon de tapisser la pelouse du stade avec une sorte de carpette blanche, qui réverbère intensément la lumière du soleil de plomb. C’est presque à l’aveugle que l’on se dirige en courant vers la scène située à l’opposé. Là encore il faut courir, sous le soleil, sur un tapis tout mou, et avec les jambes ankylosées. On y arrive tant bien que mal, et finalement je réussis à pénétrer dans le premier espace de la fosse, devant la scène. En effet, la pelouse est séparée en trois parties clôturées. Une fois le premier espace rempli, il est fermé et on dispose d’un bracelet qui nous permet d’entrer et sortir. C’est plutôt une bonne idée, car cela laisse de l’espace dans ce premier carré et on est pas bousculé. Je suis à 15 ou 20 mètres de la scène, donc la vue globale est excellente.
Après une attente qui fut particulièrement longue et éprouvante à cause de la chaleur, intervint l’artiste en première partie. Il s’agissait de Jenny Morris, une chanteuse australienne qui commençait à avoir une notoriété internationale avec deux tubes : Saved Me, et She Has To Be Loved, mais en France elle était quasiment inconnue. Beaucoup attendaient une production Paisley Park, comme Mavis Staples, et non une artiste lambda aussi talentueuse soit elle. Les fans étaient déjà excédés par l’attente et n’ont pas accueilli Jenny Morris favorablement, elle du subir des sifflets et quolibets et même des jets d’objets et détritus divers.
Ensuite la pause jusqu’au début du concert fut interminable. Il y eut de nombreux problèmes techniques, et si la chaleur avait tendance à diminuer quelque peu nous n’étions pas loin de passer à l’état liquide tellement nous étions fatigués. Les Game Boyz ainsi que Dr Fink sont montés sur scène pour faire patienter la foule en faisant de grands signes et montrer qu’ils étaient bien là.
Le show
Le concert débute enfin, à une heure déjà tardive. Dès l’apparition des grandes lettres PRINCE en fond de scène, et le début du show, le public semble sortir de sa torpeur et fait un accueil triomphal au Kid de Minneapolis. Dans les premiers rangs, on ne se rend pas vraiment compte des imperfections de la sono même si le son nous paraît plutôt faiblard. C’est à partir de The Question Of U, et son intro jouée au piano quasi inaudible, que l’on comprend l’ampleur du désastre. Quant à Prince, il montre assez peu de motivation et balance les titres sans réel enthousiasme. La débâcle arrivera au moment de Batdance, qui laissera le public sans réaction. C’est seulement avec le final constitué de Partyman et Baby I’m A Star que l’ambiance décolle un peu. Mais c’est déjà un peu tard.
Le concert se termine après seulement 1h30 de show, et le sentiment général est que Prince a fait le minimum syndical, ce qui ne lui ressemble pas du tout. On est déjà très loin des shows des années précédentes. Il est fort probable que les ennuis techniques ont miné un concert déjà éprouvant.
Du coup la sortie du Parc des Princes se fait la tête basse, sans rien dire. Le show n’est pas à proprement parler une catastrophe, mais le fait que ce soit dans un stade, pour un spectacle moins ambitieux que les tournées précédentes, avec une sono moyenne, et avec des fans fatigués par les heures d’attente sous le soleil, a certainement donné un cocktail avarié.
Après le show
Malgré la foule, la sortie de l’enceinte ne fut pas très longue. Nous apprendrons plus tard que Prince s’est rendu à la boîte Le Palace, mais que contrairement aux rumeurs de la journée il n’y aura pas d’aftershow. Ceci dit il n’était pas envisageable pour nous, dans notre état, d’aller dans une quelconque soirée.
Même si le show était assez moyen, l’événement m’a procuré suffisamment d’adrénaline pour les deux semaines qui ont suivi, me produisant une forme de dopage pendant les épreuves du bac. Même sur les matières pour lesquelles j’avais peu révisé, j’arrivais à retrouver dans ma mémoire les éléments clés me permettant d’obtenir des notes suffisantes.