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Conflit avec Warner

Logo Warner Bros. Records de 2002 (c)

Le conflit avec Warner est un épisode de la carrière de Prince qui s’est déroulé de 1993 à 2000.

Durant cette époque, Prince déclara avoir changé de nom pour un Symbole imprononçable :

Il se déclara aussi « esclave » (slave, en anglais) de sa maison de disques, et inscrit ce mot au feutre sur sa joue lors de ses apparitions en public.

Prince avait souhaité quitter la Warner en 1993, après s’être rendu compte que le contrat qu’il signa en 1992 lui semblait trop contraignant, et l’obligeait à atteindre des volumes de ventes irréalistes album après album pour pouvoir toucher la totalité de ses royalties.

Pour autant, Prince a évoqué avoir des relations tendues avec sa maison de disques dès 1981, et il a finalement renoué avec Warner Bros. en 2014.

Prince avec le mot « Slave » écrit sur sa joue

Des relations tendues (1978-1992)

Bien que Warner ait été la compagnie qui a lui a accordé sa confiance dès son premier album en 1978, Prince n’a cessé de les mettre dans des situations compliquées au fil des années.

Il faut tout d’abord se rappeler que Prince a eu des exigences inconsidérées pour son premier contrat : il demandait à être son propre producteur, et à enregistrer un album sur lequel il écrirait tous les titres, tiendrait tous les instruments, et assurerait toutes les voix. Ce qui signifiait qu’il aurait un contrôle total sur sa production musicale, sans que personne ne vienne lui dire quoi que ce soit. Et ceci à seulement 19 ans !   

Compte tenu des sommes engagées (une avance de $180,000 prévue pour l’enregistrement de trois albums), Warner a souhaité qu’un producteur exécutif supervise la réalisation du premier album. Elle a désigné pour cela Tommy Vicari, qui participa effectivement aux sessions studios. Mais il n’eut que peu d’influence sur le résultat final de l’album For You car Prince a fait les choses à sa façon.

La sortie de l’album Dirty Mind en 1980 fut l’objet de questions. Après avoir réussi à consolider une audience avec son premier hit, I Wanna Be Your Lover, Prince prend un virage rock/new-wave avec cet album, qui est aussi délicat à passer en radio en raison des textes explicites.

For You - pochette

En juin 1981, Prince enregistre un morceau intitulé Let’s Rock, dont il était si satisfait qu’il voulut le sortir immédiatement en single isolé. Warner s’opposa à cette idée et le titre fut intégré, sous le nom de Let’s Work, à l’album Controversy. Il sera finalement édité en single au début de l’année 1982. Prince évoqua cet incident comme l’un des premiers exemples de situation où Warner tenta de réfréner ses envies artistiques.

En 1982, la sortie de l’album 1999 fut également compliquée. Le fait de sortir un double album était un pari risqué, car à cette époque Prince n’avait pas encore la notoriété suffisante pour envisager autant de nouveau matériel. L’album précédent, Controversy, avait certes été classé disque d’or (500 000 exemplaires vendus) mais Prince passait encore très peu en radio (surtout côté pop/rock) et ne touchait pas un large public. Les débuts commerciaux de 1999 furent décevants, puis tout changea en février 1983 avec la sortie en single de Little Red Corvette, qui fut le premier titre de Prince à entrer dans le Top 10 US.

Du fait de la frilosité de la maison de disques, la version européenne de l’album 1999 a été éditée en album simple, en supprimant 5 titres de la version double album. Ces éditions avaient été réalisées sans le consentement de Prince.

La pochette de l'édition simple album de 1999, parue dans plusieurs pays d'Europe début 1983.

Certes avec le succès phénoménal de Purple Rain, en 1984, Prince est désormais en mesure d’exiger tout ce qu’il souhaite. Mais cela ne va pas forcément dans le sens de la maison de disques. L’album Around The World In A Day est venu extrêmement vite : moins de dix mois ont séparé cet album du précédent, qui était toujours présent dans les charts au moment de sa sortie. Cette parution rapide a été vécue comme un suicide commercial, d’autant que le contenu de l’album était sensiblement différent, au moins dans la forme. D’autre part, l’album est paru sans annonce préalable, ni single, ni vidéo. Warner attendait certainement une meilleure suite à Purple Rain. Les ventes de Around The World In A Day ont tout juste dépassé les 3 millions d’exemplaires alors que Purple Rain avait atteint 13 millions.

Ceci dit, ce mode de fonctionnement a créé un précédent dans l’industrie du disque. Il n’était plus rare ensuite de voir qu’après le succès d’un nouvel artiste, le second album arrive très vite derrière, en quelque sorte pour encore profiter de l’attraction du premier.

On peut considérer aussi que les sonorités développées sur Around The World In A Day et Parade (1986) n’ont pas trouvé leur public aux Etats-Unis. Les ventes de ces deux albums n’ont pas été suffisantes aux USA, et cette période est souvent considérée comme le passage « psychédélique » de Prince.

Pochette de l'album Around The World In A Day

L’année 1986 fut aussi l’objet de tensions. Après avoir dissous le groupe The Revolution, Prince souhaitait revenir avec un triple album intitulé Crystal Ball, ce qui rencontra d’importantes réticences de la part de la Warner. Il fut exigé de réduire ce projet à un double album, qui est devenu Sign O’ The Times. Prince eut beaucoup de mal à accepter le fait de découper ainsi son œuvre.

La fin de l’année 1987 est marquée par l’annulation in extrémis du Black Album, qui posa d’importantes difficultés pour la récupération des exemplaires et leur destruction immédiate.

Avec Lovesexy en 1988, Prince veut signifier un renouveau spirituel et il apparait nu sur la pochette, ce qui lui coutera le marché américain. Lovesexy est le premier disque de Prince à ne pas atteindre le million d’exemplaire l’année de sa sortie, ce qui n’était pas arrivé depuis 1981.

Si Batman permet de redonner à Prince une place de n°1 en 1989, ce résultat est plombé l’année suivante par l’échec de l’album et du film Graffiti Bridge

Prince savait que son contrat arrivait à son terme et qu’il faudrait le renégocier courant 1992. C’est pourquoi il fut déterminé à revenir en force en 1991 avec l’album Diamonds And Pearls, qui est un énorme succès mondial. Surfant sur ce succès, maison de disques et artiste entreprennent les négociations sur un nouveau contrat devant être signé au début de l’année 1992.

Bien que les ventes des albums de Prince n’aient pas atteint les volumes escomptés individuellement, il est néanmoins sauvé par sa productivité. Entre 1982 et 1992, il a fait paraitre 10 albums (dont plusieurs doubles) qui ont tous été classés dans les charts et obtenu pour la plupart un statut de Disque de Platine aux États-Unis (1 million d’exemplaires distribués). En cumulé, il a vendu plus de 30 millions de disques. A ce titre, sur cette période seul Michael Jackson parvint à faire mieux. 

Pochette de l'album Lovesexy réalisée par Jean-Baptiste Mondino

Le contrat signé en 1992

Le renouvellement du contrat de Prince était donc nécessaire en 1992. Après le succès obtenu avec Diamonds And Pearls, Prince est en position de force pour négocier avec la Warner. Même s’il avait le choix de pouvoir aller ailleurs, il était clair que ce renouvellement aurait lieu dans la continuité de leur engagement mutuel depuis 1978. Il restait toutefois à déterminer le contenu de ce contrat. 

L’annonce du contrat signé avec Warner a été faite le 2 septembre 1992. Si les détails n’ont pas été rendus public, il a été possible d’en connaitre les grandes lignes.

Le contrat fut annoncé par les publicistes de Prince comme représentant un total de 100 millions de dollars, le plaçant ainsi comme le contrat le plus lucratif du moment, surpassant ceux de Michael Jackson ou de Madonna signés dans la même période. Rapidement, cette annonce suscita beaucoup de scepticisme, et le management de Warner fut bien embarrassé pour justifier dans la presse cette somme incroyable. 

En tous les cas, à l’instar de Madonna ou de Michael Jackson dont les contrats se montaient à $60 millions, ces sommes représentent des montants potentiels susceptibles d’être atteints par l’artiste. Il faut pour cela qu’un certain nombre de conditions soient remplies.

Si l’organisation de Prince annonce un contrat de $100 millions, c’est parce qu’il comporte plusieurs axes de développement. Il faudrait alors que l’ensemble de ces axes atteignent leurs objectifs pour espérer recevoir de telles sommes. En réalité, Prince a toujours été très loin d’atteindre les objectifs fixés.

Gary Stiffelman, avocat de Prince en 1992

D’après l’avocat de Prince, Gary Stiffleman, qui a négocié le contrat avec Warner en compagnie de Gilbert Davison et Jill Willis, représentant PRN Entreprises, le contrat prévoit trois éléments principaux :

  • un taux de royalties plus élevé que par le passé : Prince obtiendrait 20 à 25% du chiffre d’affaire réalisé pour chaque disque vendu, ce qui en fait l’un des taux les plus élevés jamais connus dans le show-business. Madonna ou Michael Jackson seraient autour de 10%. Prince était autour de 6-8% avant le nouveau deal.
  • un refinancement des studios et du label Paisley Park : il a été évoqué le chiffre de $20 millions budgétés pour permettre à Paisley Park Records de devenir une industrie de production d’artistes, de films, et de clips vidéos à une échelle plus importante que ce qui avait été fait jusqu’à présent.
  • un accord de 3 années supplémentaires portant sur les droits d’édition : les droits d’édition sont généralement les plus lucratifs, ils permettent de limiter l’utilisation faite des morceaux et d’en réclamer les droits d’auteurs. L’accord est établit entre la société de Prince, Controversy Music Inc, et Warner Chappel Music. Prince aurait reçu une avance de $20 millions concernant cette partie du deal.

 

D’autre part, Prince avait obtenu un poste de Vice-Président de Warner Music Group, « en charge de découvrir de nouveaux talents ». Dans les faits, ce poste (auquel il n’a jamais siégé) permettait à Prince d’obtenir des stock-options du groupe Warner. Il avait toutefois un bureau à sa disposition au quartier général de Warner, à Los Angeles.

Le contrat porte sur 6 albums. Il a été dit que Prince toucherait une avance de $10 millions à chaque sortie d’album. Il s’agit bien d’une avance sur les royalties, ce qui signifiait qu’en cas d’échec commercial de l’album, les sommes déjà versées seraient retenues sur les résultats des albums suivants. Une des clauses prévoit que chaque album doit atteindre un chiffre de ventes de 5 millions d’unités pour sécuriser la somme, ce qui correspond à ce que Prince a réalisé avec Diamonds And Pearls, mais en dehors de ce cas, il n’avait dépassé ce seuil qu’avec Purple Rain.

Il avait été dit également que l’accord permettait la création de deux nouveaux labels. L’un d’entre eux, appelé Love, aurait consisté à éditer des singles dans l’esprit de ce que l’on faisait dans les années 1960. Un autre label aurait pu permettre de faire paraitre des artistes plus éloignés que ce qui était proposé sur Paisley Park Records.

Rupture avec la Warner

La première étape attendue dans le cadre du nouveau contrat était la sortie de l’album Love Symbol, paru en octobre 1992. Prince a alors touché immédiatement $10 millions de dollars comme convenu. Mais il est vite apparu que cet album ne parviendrait pas à atteindre le seuil des 5 millions d’exemplaires nécessaire pour recouvrer cette avance. Ses chiffres de vente ont surnagé à peine au dessus du million d’unités. 

A cet épisode s’est ajouté l’échec commercial début 1993 de l’album de Carmen Electra, qui était annoncé comme la plus importante sortie du label Paisley Park. Warner et Paisley Park avaient investi un million de dollars chacun rien que dans la promotion et la publicité autour de cet album et de son premier single, Go Go Dancer.

Les couts de fonctionnement des studios Paisley Park étaient faramineux, rien que le département « costumes » employait 10 personnes à plein temps uniquement pour Prince, ses girlfriends, et les membres du groupe. Des entreprises sous-traitantes étaient sollicitées pour construire des scènes ou des équipements, tourner des clips, ou enregistrer de la musique même à deux heures du matin, pour des productions qui n’ont jamais vu le jour. Vu que l’argent avancé serait à rembourser, Paisley Park s’est rapidement retrouvé dans le rouge.

Pochette de l'album Love Symbol

Prince a accusé la Warner de ne pas avoir suffisamment soutenu la promotion de l’album Love Symbol. En réalité, le marché était saturé et ne pouvait plus ingérer de nouvelle musique de Prince.

Il semblerait que Prince ait pris conscience qu’il ne parviendra jamais à atteindre les niveaux de vente de Madonna ou de Michael Jackson. Avec l’exigence de vendre au moins 5 millions d’exemplaires de chaque album, Prince était obligé d’entrer dans une surenchère commerciale qui ne lui convenait finalement pas.

Annuler le contrat avec Warner était évidemment impossible compte tenu des sommes en jeu. Il fallait donc trouver d’autres méthodes. Au printemps 1993, Prince présente à Warner l’album Gold Nigga comme un disque des New Power Generation, ce qui lui permettait de ne pas se mettre en avant cette fois-ci. Mais Warner rejeta purement et simplement le disque.

Ainsi le 27 avril 1993, soit à peine sept mois après la conclusion du deal, Prince annonce qu’il complètera son contrat uniquement en puisant dans sa bibliothèque de 500 morceaux inédits. Il devait alors encore 5 albums à Warner.

Les mois qui suivirent furent l’objet de nombreuses tractations. Prince décida de faire table rase de sa carrière passée, et donna son accord pour faire paraitre une compilation rétrospective, The Hits / The B-Sides, pour septembre 1993. Cette compilation vient donc marquer la rupture entre « l’ancien Prince » détenu par Warner et une nouvelle entité appelée que Prince décide de prendre comme nouveau nom d’artiste à partir du 7 juin 1993. Pour appuyer le propos, la tournée européenne Act II de l’été 1993 est annoncée comme « la dernière chance de pouvoir entendre les tubes de Prince » !

Si Prince était prêt à remplir ses obligations contractuelles en puisant dans son Vault de morceaux inédits, il restait à voir comment il pourrait diffuser autrement la nouvelle musique qu’il ne souhaite pas livrer à Warner.

Pour cela, il proposa d’abord un spectacle musical, Glam Slam Ulysses, mettant en vedette la danseuse Carmen Electra sur une série de nouveaux titres. Il ouvrit dès septembre 1993 des magasins de musique, les NPG Stores, s’appuyant aussi sur ses clubs, les Glam Slam, et mettant en œuvre un système de vente par correspondance à travers la hotline 1-800-NEW-FUNK. Il produit également un jeu sur CD-ROM, Interactive, qui eut beaucoup de succès. 

Poster Act II Europe Tour
Les publicités de NPG Records et de Warner parues à quelques semaines d'intervalle.

En 1994, Prince marque les esprits dès le mois de février avec la sortie de The Most Beautiful Girl In The World sur son nouveau label NPG Records distribué en dehors de Warner pour la première fois. Le titre est un succès mondial et atteint la 1ère place des charts au Royaume-Uni. Il enchaine quelques semaines plus tard avec le maxi-EP The Beautiful Experience. Il livre à Warner deux albums, Come, et The Gold Experience destinés à sortir simultanément. Mais si Warner fait paraitre Come en août 1994 (en le présentant comme le nouvel album de « Prince »), elle conserva The Gold Experience en réserve pendant plus d’une année. Ce qui obligea Prince à faire paraitre entre temps un second album des New Power Generation, Exodus, en mars 1995, et à partir en tourner pour défendre un album que personne ne connaissait dans le public !

Début 1996, un changement de management s’opère chez Warner. La plupart des figures historiques qui avaient accompagné Prince depuis 1978 sont parties, et des équipes de financiers s’installent. De nouvelles négociations ont lieu.

Il a été proposé à Prince de livrer deux albums pour terminer le contrat sur le plan discographique. Prince leur livra alors immédiatement les albums Chaos And Disorder et The Vault… Old Friends 4 Sale. Warner édita le premier en juillet 1996, mais elle préféra attendre l’année 1999 pour faire paraitre le second. 

De son côté, fait paraitre le 12 novembre 1996 un triple album justement appelé Emancipation, paru en partenariat de distribution avec EMI.

Ainsi, au total Prince livra à Warner les cinq albums suivants dans le cadre du contrat :

  1. Love Symbol (1992)
  2. Come (1994)
  3. The Gold Experience (1995)
  4. Chaos And Disorder (1996)
  5. The Vault… Old Friends 4 Sale (1999)

 

Les autres albums de « Prince » parus durant cette période n’ont pas compté dans le contrat : le Black Album (paru en 1994) et la bande originale du film Girl 6.

Il restait encore la partie du deal concernant les droits d’édition. Cette partie fut plus complexe à terminer. Le contrat avec Warner Chappel Music se terminait au 31 décembre 1999. C’est seulement après cette date que Prince pu à nouveau utiliser son nom, et mettre de côté le Symbole.

Retour chez Warner en 2014

Le label de Prince, NPG Records, créé en 1994, pouvait occasionnellement s’associer avec des maisons de disques pour la partie distribution et promotion. Il y eut ainsi des accords avec Bellmark, Edel, EMI, BMG/Sony, Universal et même Warner (pour The Gold Experience, en 1995).

En 2014, il fut annoncé que Prince signait à nouveau avec Warner. La négociation fut menée pour Prince par Phaedra Ellis-Lamkins

Bien que les détails de ce contrat n’aient pas été rendus public, des éléments ont pu être reconstitués.

Il comprend notamment :

  • la parution d’un nouvel album de Prince (ce sera Art Official Age)
  • la parution simultanée d’un album de son groupe 3rdEyeGirl
  • la réalisation d’un remaster de l’album Purple Rain
  • la possibilité de sortir une nouvelle compilation best-of (qui deviendra 4ever, après le décès de Prince)
  • et surtout, la récupération des bandes master de ses albums historiques, un combat que Prince menait depuis près de vingt ans !

 

La récupération des bandes master permet à Prince d’avoir un contrôle total sur l’exploitation qui est faite de ses anciens albums, qu’il s’agisse des singles ou d’éventuelles futures rééditions.

Le nouveau deal respectait les conditions de Prince, et l’on peut imaginer un partage 50/50 des profits réalisés sur la vente des disques, Prince ayant régulièrement mentionné ce pourcentage comme étant honnête pour l’artiste comme pour le distributeur.

 

Plectrumelectrum - pochette

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